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Deuxième Nav' : Hyères - Calvi, part 2



Le pont chauffé le jour durant par le soleil confère à la cabine arrière une atmosphère tropicale et une moiteur épaisse et étouffante. Je ne parviens pas à trouver le sommeil et me déplace sur la couchette du carré, mais, n'y trouvant aucun bénéfice, je finis par revenir dans notre cabine où je suis rapidement rejoint par Isis qui doit prendre le quart d'après son frère. Boris est en train d'affiner les réglages des voiles depuis le cockpit, sa lampe frontale rouge balayant le plexi du capot, donne à la cabine des allures de sous marin. Paradoxalement, cette ambiance me fait basculer dans le sommeil malgré les bruits de winchs, palans et autres piétinements résonnant à travers le pont.

A 23H30, Isis me secoue l'épaule, Boris a passé la tête par le capot, nous braquant son faisceau rouge en pleine figure. Il y a un ferry devant nous, et il n'arrive pas bien à estimer sa distance et sa direction. Remontant vers le cockpit, je me rends compte que les voiles battent. Le vent a dû caler. Difficile de dire depuis combien de temps. Toujours est-il que la baume se balance au gré de la houle. Le ferry est à quelques miles devant nous, à voir les lumières de pont rectilignes, perpendiculaires à notre route, il semble aller vers le nord, et devrait passer relativement loin devant nous. Sur ces entrefaites, Isis doit prendre son quart. Boris peut se reposer, et je reste pour quelques instants (le crois je ) avec elle au cockpit. Instants durant lesquels le vent chute, nous contraignant à démarrer le moteur. Et puis je me cale sur le banc bâbord, la laissant à son quart, tentant de trouver un sommeil qui vient mal et repart souvent dans cette petite heure qui nous sépare du retour du vent. De secteur sud sud est. Il s'est calmé quelques heures pour mieux tourner, et s'établir à 15 nœuds. Nous ajustons les voiles et coupons le moteur. D'instinct, je me recale sur mon banc pour repartir à la poursuite de mon sommeil. Je suis au bord d'y plonger, quand Isis m'interpelle, « y'a encore un ferry, et je sais pas où il va » J'ouvre un œil (oui, j'ai fermé les yeux au cas où … je m'endorme!) et vois clairement des lumières en face de nous. Elles sont relativement éloignées mais je n'arrive pas à identifier de forme, quoi que ce soit qui fasse penser à des ponts de promenade, et encore moins de direction.

Nous nous lançons tous deux à la recherche des jumelles, qui, sur Savitri, ont très souvent tendance à migrer d'un endroit à l'autre entre deux utilisations. Quand enfin, elles réapparaissent, nous constatons que les lumières du ferry sont toujours droit devant nous mais beaucoup plus grosses. En fait, beaucoup plus près : il vient dans notre direction et se rapproche vite. Nous ne voyons pas les raies de lumière des ponts de promenade de ses flancs parce qu'il vient vers nous et ce que nous voyons ce sont les lumières de la passerelle et de son pont avant... Nous prenons la décision de virer de bord sans attendre et de quitter temporairement notre cap à l'est pour piquer vers le sud, et nous éloigner de sa route au plus vite. Nous préparons rapidement la manœuvre, je prends la barre et annonce comme d'habitude, « attention j'envoie ! » avant de faire barre à tribord.

Savitri vire, le génois dévente en passant face au vent. Je choque (lâche) l'écoute bâbord et Isis borde (reprend) l'écoute tribord. Le génois change de bord, la manœuvre se présente bien jusqu'au moment où je vois la baume partir exagérément sur tribord, j'envoie machinalement la main ver le palan pour border la grand voile (GV), étonné qu'elle ne le soit pas. Mais le palan s'en va avec la baume. Il n'est plus fixé à son rail, la manille qui le maintenait arrimé au roof s'est ouverte et flotte sous le palan, laissant la baume libre de suivre le vent. C'est précisément ce qu'ils font, le palan part dans la filière tribord et se bloque dans le filet au moment où je plonge pour le rattraper. Par chance la manille n'est pas tombée à la mer, et nous avons toutes les peines du monde, Isis et moi, à la ré-arrimer au rail de GV. Le vent fraîchissant pousse sur la voile, et la mer devenant agitée nous mettent à rude épreuve. Une consolation tout de même, nous avons croisé le ferry, il est à peine à 2 ou 300 mètres de nous, et s'éloigne. Enfin, à s'y reprendre, en utilisant les effets de la houle, et les accalmies entre les rafales, nous finissons par enclencher la manille dans son emplacement et à la visser fermement. La grand voile battante avait dû la dévisser. L'incident nous a fait lâcher la barre sans enclencher le pilote (nous hésitons entre Jean marc et Raymond!) Nous avons fait demi tour et revenons sur nos pas. Après avoir une nouvelle fois viré de bord et repris notre cap au 110, je me rends compte qu'Isis a eu peur, et commence à se laisser prendre par le mal de mer.




Et puis le vent, annoncé en rafales à 16 nœuds de nord Ouest par les différentes applications météo, non content d'être passé au Sud Sud Est, commence aussi à fraîchir. A 1H30, je note des rafales à 19 nœuds sur le livre de bord. Vers 2h, il passe en rafales au dessus des 25 nœuds. Aux larges vagues de nord Ouest, qui nous accompagnent depuis le Levant se joignent celles levées par le vent de Sud Sud Est, formant une houle croisée grossissante. La mer devient agitée à forte et les crêtes des vagues hautes viennent souvent frapper Savitri par tribord, et explosent en gerbes d'écume, détrempant le pont et le cockpit. Boris s'est réveillé peu avant que les rafales ne dépassent les 25 nœuds. Nous assistons ensemble à l'irrésistible ascension du vent. Il nous faut réduire la voilure. Boris, relié à la ligne de vie par la longe de son harnais, part se poster à l'avant. Isis, prenant sur elle son mal de mer grandissant, se poste au pied de mât pour manœuvrer la drisse de génois. Je demeure à la barre prêt à envoyer Savitri face au vent et à coordonner la manœuvre. Celle ci se déroule parfaitement et le génois se trouve rapidement ferlé contre la filière bâbord, puis aussitôt remplacé par la trinquette génoise que Boris endraille sur l'étai à une vitesse surprenante dans l'écume des crêtes frappant la proue. La trinquette envoyée, Boris nous revient détrempé mais encore souriant. Nous reprenons notre cap pour que Savitri retrouve un peu de vitesse et de maniabilité. Nous abattons ensuite d'une vingtaine de degrés pour soulager la GV et la réduire également. La prise de ris est moins évidente. Boris et moi peinons à obtenir une grand voile bien étarquée. Le lazy bag (sac fixé sous la baume destiné à protéger la GV quand elle est ferlée), gêne les nouettes et rendent l'arrimage des prises de ris fastidieux. Nous finissons par trouver un compromis « au moins pire », et je déclare le ris pris ! Ça ira bien comme ça !

Boris se laisse tomber sur un banc du cockpit, il est beaucoup moins souriant, et finit par me demander s'il peut redescendre dans le carré, il a besoin de s'allonger... Le mal de mer est en train de le prendre... Je me tourne vers Isis, blanche comme un linge, agrippée à la filière, au bord de vomir... De toutes façons, c'est l'heure de mon quart. Nous devons être à une quarantaine de nautiques de Calvi, c'est à dire 6 à 8h de mer, à l'allure où nous allons. Une petite épreuve d'endurance en somme. Ma seule inquiétude est que le vent ne fraîchisse pas plus. Cela me contraindrait à une nouvelle prise de ris, exercice difficile en solo avec Savitri. Pas impossible, mais difficile. La trinquette génoise peut être assez simplement affalée seul. Et si le vent monte encore, je pourrai tout à fait me contente de la trinquette baumée, déjà à poste, et très simple à manœuvrer. C'est surtout la GV qui m'inquiète si le vent passe au dessus des 30 nœuds. Je sais que d'aucuns m'objecteront que je tarde à réduire la voilure, il est vrai que l'on dit qu'il faut réduire dès 20 nœuds de vent, j'ai même entendu que certains sloops modernes exigent une prise de ris dès 18 nœuds. Savitri est d'une conception des années 70, époque, si j'ai bien compris, où la robustesse du gréement ne sacrifiait rien à la légèreté ou au coût des matériaux. Comme ce peut être le cas des bateaux modernes, et à en juger par la section des câbles qui maintiennent le mât de Savitri debout, nous pouvons effectivement parler de robustesse. Ensuite, son gréement en cotre, c'est à dire fait pour établir deux voiles d'avant implique une GV réduite, qui par définition, peut supporter plus d'air qu'une GV de sloop (gréement pour une seule voile d'avant).

Bref, je suis dans ces réflexions, calé sur le banc babord, face à la console des instruments, les yeux rivés sur l'anémomètre avec ma capuche au ras des yeux. Petit à petit, je développe le réflexe de baisser la tête lorsque j'entends une vague frapper tribord, protégeant ainsi mon visage du paquet de mer qui déferle immanquablement sur le cockpit. Ma veste de quart remplit très bien son rôle et me garde le haut du corps au sec. En revanche mon short et mes chaussures de toile sont rapidement détrempés, et comme dans la chanson : « j'ai de la flotte jusqu'à la culotte » (S. Reggiani) La première heure se passe correctement.

Isis, toujours en proie au mal de mer s'est allongée sur le plat bord à côté de moi entre les filières et le petit roof du cockpit. Elle semble dormir mais je sais qu'elle lutte. De mon côté, le froid et la fatigue commencent à peser. Je grelotte et mes yeux brûlent. J'essaye de lâcher prise et de dormir pour de courts instants. Entre les rafales, il arrive que le vent retombe à 18 ou 19 nœuds, je profite de ces moments pour fermer les yeux et me laisser aller, faisant fi des paquets périodiques de mer qui me tombent dessus. Mais invariablement, une bourrasque siffle à mes oreilles et je ne peux m'empêcher de fixer l'anémomètre : 20- 22 -24 – 26 – 20 – 18 - … alors je ferme les yeux, et ça recommence.

Quand le froid me dérange trop, je me trouve un truc à faire et descend quelques minutes dans le carré. « Il me faut absolument un des petits biscuits qui sont en bas, ou alors un verre de sirop ». Même si Savitri remue pas mal, l'atmosphère du carré, à l'abri du vent, semble paisible, chaude et régénérante. Je remonte chaque fois rechargé pour une bonne vingtaine de minutes. Le vent fraîchit encore et la mer devient sérieusement agitée pour ne pas dire forte. Isis, dont le sommeil de lutte est entrecoupé de vomissements, est rejointe par Marceau, lui aussi l'estomac à l'envers et pris subitement par un mal de mer inhabituel le concernant. Réveillé par la force de la houle, Loup monte également au cockpit, embrumé, et regarde comme moi, incrédule, sa mère et son frère accrochés à la filière. Deux ou trois paquets de mer les font retourner, trempés, vers leur cabine, et se rendormir. Le passage le plus éprouvant est entre 4 et 5 h du matin. Je suis harassé et grelottant, le vent semble fraîchir encore, les rafales atteignent 28 nœuds et je vois poindre le moment où il va falloir réduire la voilure encore une fois. A noter que Savitri se comporte très bien, bien que balotté par la houle croisée qui a copieusement gonflé et doit tutoyer les 3m, il encaisse les rafales sans ciller, fermement appuyé sur son bouchin bâbord ; C'est moi qui cille et qui faiblis. Je suis très inquiet de voir le vent passer les 30 nœuds alors que je suis exsangue, ne me sentant pas la force de manœuvrer quoi que ce soit tout seul. Je décide donc, dans un premier temps, de choquer la GV et la trinquette, pour soulager leur tension dans les rafales. Et puis je descends au carré quelques minutes pour prendre des forces. Verse le reste du café du thermos avec un sucre dans un verre. Il est encore chaud mais plein de marc. Mange quelques fruits secs. Remonte au cockpit, résigné. Et l'aube est là, le ciel jusqu'ici sans lune avec ses étoiles dansant sous la houle, est bel et bien allumé à l'est. Se dessine la ligne de la Corse posée sur l'horizon, s'annonce le redoux. Ma fatigue s'estompe presqu'instantanément. Après un point sur le livre de bord, je me réinstalle sur mon banc, un œil sur l'anémomètre, l'autre sur le jour qui se lève. Nous sommes le 20 août 2022, la Corse en en vue.





Petit à petit, je suis rejoint par le reste de l'équipage. Loup, Marceau, suivi de Strada, qui était descendue dans le carré pendant les manœuvres de la nuit, réinvestissent le cockpit et le pont. Ils déjeunent. Boris a retrouvé son sourire. Seule Isis reste aux prises avec son mal de mer.










A 9H, le vent tombe, nous laissant la houle seule, et c'est au moteur que nous abordons la Corse.



A 10H35, je mentionne « mouillage Revelatta » sur le livre de bord. Nous mangeons un morceau, et puis repos.




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