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La Grèce, ça se mérite ! Part three


Le front orageux s'éloigne vers le sud, et le vent nous permet de reprendre notre route vers la Grèce. Je rectifie la destination; Nous n'irons plus directement vers Nidri sur l'ile de Lefkada (Leucade en fr) mais sur le premier abri côtier à portée raisonnable de navigation. Ce sera la baie d'Atheros sur l'ile de Kefalonia (Céphalonie) pour un mouillage. Le traceur gps prévoit une arrivée vers 18h heure en heure occidentale, 19h heure grecque. Encore 11h30 à tenir...


Je me cale sur le banc bâbord, visant vers l'Est, impatient de voir apparaître le soleil. Savitri vogue sous voiles, dans ce "silence peuplé" si doux à mes sens. De temps en temps je me tourne avec soulagement vers les orages au sud qui, avec la distance et la lumière du jour naissant, prennent peu à peu l'allure vague d'une barre de nuages lointains. La fatigue m’engourdit totalement, mes mouvements sont lents, mon corps lourd. Mais mes yeux ne se ferment pourtant pas, refusant de céder. Les tensions de la nuit sont encore présentes. Il y a une vingtaine d'heures que je n'ai pas pris de repos et je reste là, les yeux posés sur les lueurs de l'aurore, marmonnant presque malgré moi à plusieurs reprises : "Illios, quand vas-tu te décider à apparaître ?" comme une litanie implorant le lever du jour. Jusqu'à ce qu'Isis émerge de son court sommeil et vienne me relayer. Je quitte le cockpit pour m'effondrer dans notre cabine. Il est 7h30.

Le sommeil a beau être profond, en mer, le cerveau semble conserver une part constante de vigilance. D'abord les pas sur le roof au-dessus de ma tête, que je reconnais comme étant ceux de Marceau et une demi conscience s'éclaire derrière l'obscurité de mes paupières. Puis le son des voiles qui battent se mêle aux petits impacts des pieds de Marceau, comme agités, et dissipent encore les éthers du sommeil. Conscience floue que quelque chose se produit. Mais le corps demeure inerte, léthargique. Enfin la voix d'Isis : "Va vite chercher ton papa !" qui elle active la mécanique d'un corps qui, par lui-même et soudainement, se met en mouvement dans une sorte de gestuelle de l'habitude, se redresse, enfile ses chaussures, sort de la cabine, traverse la cabine de douche, arrive dans le carré et se poste en bas de la descente, bientôt rejoint par une conscience qui se serait laissée surprendre par tant de célérité. Comme un auto focus un peu lent tarde à vous produire une image nette dans le viseur d'un appareil photo.

La situation est simple. Le vent a progressivement baissé pour devenir une brise légère. Savitri, sous voile, a ralenti au point de s'arrêter totalement et notre bon "Jean Marc" (oui, parce que Jean Marc Barr(e) toujours!) est devenu incapable de manœuvrer laissant la-dite petite brise passer à contre dans le génois. Ainsi Savitri a quitté sa route et tourne sur lui-même, balloté par la houle.

La solution, l'est tout autant, simple. Il suffit de mettre le moteur en marche et de pousser sur la commande des gaz. Je lance donc le moteur depuis le carré où se trouve le tableau de commandes. Isis avait trop retardé cette action afin de me laisser dormir. Attention on ne peut plus délicate, mais qui aboutit à l'inverse de l'effet escompté! Bref, le moteur en marche, elle enclenche la marche avant. Le moteur ronfle un peu plus fort alors qu'un chuintement se fait entendre, comme si l'on frottait deux morceaux de polystyrène l'un contre l'autre. Nous nous regardons. Je remets le moteur au point mort. Marceau, qui était à l'arrière de Savitri, affairé comme à son habitude sur ses lignes de traîne, s'exclame alors dépité: "Les lignes sont prises dans l'hélice, et elles sont cassées!"

C'est à ce moment que nous comprenons:

Nous avons, enfin nous avions, deux lignes de traîne amarrées à l'arrière de Savitri. Nous envoyons (envoyions!) une à deux lignes sur chaque navigation un peu longue, ce qui, ces cinq dernières semaines, nous a permis de prendre... UN POISSON!! (mais un beau!!) Chacune de ces lignes traîne (traînait) un leurre en forme de calmar ou de petit poisson lesté. Ainsi, ces deux lignes (lestées) se sont plaquées à la verticale du bateau quand celui-ci s'est progressivement arrêté, puis sont passées contre l'arbre d'hélice quand il s'est mis à tourner sur lui-même, pour ensuite s'enrouler comme sur une bobine quand l'hélice s'est mise à tourner, avant de se bourrer contre une pièce cylindrique qui maintient l'arbre d'hélice, entravant son bon fonctionnement. Bref tout cela est un peu long à décrire mais sur le moment cela se déroule très vite dans nos têtes. Nous voici donc en pleine mer ionienne, les lignes bloquant l'arbre d'hélice, sans vent. Je me demande quoi faire. Je me sens épuisé et la houle encore assez forte fait rouler Savitri dérivant. La colère prend le dessus. Je me mets à maudire l'univers presqu'entier, le bateau, le vent, Jean-Marc, l'équipage, moi-même, les orages, le manque de sommeil... Je m'entends même dire que je vais lancer un appel de détresse VHF pour demander une assistance remorquage, voire un hélicoptère. Acte excessif autant que vain à 70 miles des côtes! Et éructant, je me résous finalement à aller prendre un bain dans la mer ionienne.





Equipé de masque et tuba, la sensation de fraîcheur me fait hésiter lorsque je trempe mes palmes dans l'eau. Mais j'occulte cette information, et me laisse tomber dans le grand bain, à quelque deux mille mètres au-dessus d'un fond plongeant en abîme marine, imperceptible. Dans une première apnée, je passe sous le bateau, et attaque la bobine de gros fil armé d'un couteau en inox. Mais c'est peine perdu, la lame n'entame pas le nylon prévu pour la pêche au gros. A cours d'air, je remonte à la surface, pour reprendre une respiration mais je ne m'écarte pas suffisamment de Savitri, toujours ballotté, et me heurte à la coque redescendant d'une crête de vague. Par chance, mon corps a le réflexe de se laisser couler par le bouchain, sans prendre de respiration. Et je peux, en continuant mon apnée, m'éloigner suffisamment pour faire surface en toute sécurité après le choc. J'en suis quitte pour une jolie bosse. Isis me suggère d'utiliser une petite paire de ciseaux chirurgicaux, mais l'outil me semble trop petit, et j'exige, à tort, les ciseaux de cuisine. La paire se brise à la première tentative et ce sont bien les si petits chirurgicaux qui parviennent à couper, un à un, les fils pris autour de l'arbre.

Chaque plongée consiste à descendre à environ 2 mètres de profondeur, à bonne distance de Savitri, pour ensuite passer dessous et aller m'accrocher à l'hélice du bras gauche, afin de couper le plus possible de fils avant de manquer d'air. Ensuite je dois m'écarter en replongeant légèrement pour refaire surface à l'écart du bouchain. En une douzaine de plongées et quelques égratignures causées par les coquillages qui commencent à coloniser la coque de Savitri, la bobine est totalement coupée, et l'arbre d'hélice est libéré.



Nous remettons en marche, et reprenons notre route, qui dès lors, sera calme et directe vers la pointe nord-ouest de Keffalonia. Nous sommes harassés, mais contents à l'idée de voir cette traversée s'acheminer lentement vers sa fin. A midi, les garçons se préparent leur frichti en autonomie et cassent croûtent dans le carré, tandis qu'Isis et moi veillons au cockpit, en grignotant. Vers 15h, nous abattons le 200 ième mile de l'étape. A 17h, nous sommes en approche d'Atheros, à 18h, l'ancre est jetée.

Strada ne peut attendre que l'annexe soit gonflée, (la fatigue ralentit quelque peu nos gestes) et se jette à l'eau. Elle sera la première à mettre patte à terre en Grèce, vite rejointe par l'équipage. Sur la petite plage, nous nous regardons, sourire aux lèvres:

"Nous l'avons rêvé, nous l'avons fait!"

Alors direction la petite taverne qui jouxte la plage, pour un moment simple et doux. Une fête paisible, sorte de célébration, régalés par ces mets savoureux et authentiques qui font la cuisine grecque, et joyeux de notre accomplissement.

Demain commence la suite!







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4 Comments

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Unknown member
Oct 03, 2022

Mais c’est fou ! Je croyais que la troisième partie n’allait être que fluidité des flots et des vents vous acheminant tranquillement à bon port ⛵️ C’était sans compter l’ultime facétie des Dieux grecs 😂 C’était un des douze travaux d’Hercule non ? 😳 Douze plongées de ce type dans l’état de fatigue où tu étais Brice, c’est quasi surhumain. Bravo, bravissimo, oui vous « l’avez fait » Il y a de quoi être enivrés par cet accomplissement 👏👏

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Unknown member
Oct 03, 2022

Alors maintenant : Grec salade et souvlaki ! profitez, profitez, le Grèce est un pays magnifique, surtout les Cyclades que j’affectionnent particulièrement.

J'ai l'impression de naviguer avec vous....

Et puis c'est si bien écrit il faut le dire !

Alors maintenant : Grec salade et souvlaki ! profitez, profitez, la Grèce est un pays magnifique, surtout les Cyclades que j’affectionnent particulièrement.

L'arrivée en bateau dans la caldéra de Santorin est un moment de pure magie , ne ratez pas ça !

Bisous .

Michel.

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Unknown member
Oct 04, 2022
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Yes, Santorin est au programme bien sûr ! Mais plus tard car sommes en mer Ionienne... la mer Egée est à 300 nautiques pour l'instant... mais vous tiendra au courant 😉😘

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Unknown member
Oct 01, 2022

Tellement incroyable cette aventure !

on est en apnée aussi ...

et enfin respirer tout à fait

et se réjouir avec vous de ce bon dénouement ...

Mille bravos au capitaine et à son équipage !

Que c'est doux de vous imaginer ensuite souriants...

BIsousourires😍😀

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