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Troisième Nav' : La Grèce, ça se mérite ! part one





Depuis la côte calabraise, il nous faut gagner le large pour trouver les vents portants. Nous remontons sur 6 miles vers le Nord contraints par une bonne brise puis prenons notre cap quasi plein Est avec un appui moteur. L'idée est de garantir un minimum de 4 kts, sans quoi nous arriverions en Grèce de nuit. Ce que je veux éviter le plus possible.




Le soir glisse sur la fin d'après midi, encore un splendide coucher de soleil, et nous prenons notre dîner dans une ambiance détendue et joyeuse; nous sommes prêts du but... la nuit du 18 au 19 septembre est teintée de la même tranquillité malgré le bruit du moteur dont nous devons conserver l'aide jusqu'au petit jour. Nous arrivons à dormir quelques heures à tour de rôle Isis et moi. La journée du 19 s'ouvre par un lever de soleil sur une mer d'huile, spectacle qu'Isis, de quart à ce moment là, mitraille allègrement. Puis le vent, comme prévu, s'établit au sud est. Nous coupons le moteur et savourons la sérénité d'un silence peuplé seulement par notre sillage dans l'eau et le vent dans les voiles. Une journée de grâce en somme.


A plusieurs reprises, Isis et moi nous regardons tout sourire, et nous demandons si nous allons bien arriver en Grèce, étonnés comme si cela était en train d'advenir malgré nous. Peu à peu nous prenons conscience de la chance qui nous a été donnée, et pour laquelle nous avons aussi œuvré, de toucher un rêve fou. Un rêve auquel nous aurions pu ne pas oser croire, et que pourtant nous sommes en train d'embrasser. Émouvantes pensées. Et puis nous voici rendus à mi chemin vers 17h. C'est une journée qui coule, entrecoupée de petites siestes, de temps calmes, oisive et sereine, jusqu'à 19H30.








Je remonte du carré où je suis en train de préparer le repas des garçons. Isis est au cockpit aux prises avec le retour de son mal de mer. Le soir est en train de tomber, nous échangeons trois mots sur le repas ; les enfants vont manger de leur côté et je vais préparer des sandwichs pour nous... Deux éclairs synchrones flashent à une dizaine de miles derrière nous, dans le dos d'Isis. Je me tends mais ne dis rien pour ne pas déclencher d'inquiétude, et redescends à la cuisine continuer les préparatifs. Une fois Loup et Marceau attablés, je remonte et constate à nouveau les éclairs dans le même secteur. Cette fois, Isis les a vus. Nos regards se croisent encore, moins gais cette fois.


La nuit s'est avancée dans l'intervalle. Nous passons en mode veille pour essayer de déterminer la route de cette cellule orageuse dont l'activité semble s'intensifier peu à peu. Les éclairs sont espacés d'une dizaine de seconde. Ils se produisent la plupart du temps très au dessus de l'eau entre les nuages, mais par moments, certains descendent frapper la mer. Nous n'entendons aucun tonnerre. Je scrute régulièrement le ciel, me rassurant de la présence toujours effective des étoiles ; pas de nuages au dessus de nous. Mais l'orage semble se rapprocher parfois soudainement. Ou bien est-ce l'intensité des éclairs qui augmente ? Difficile à dire. A d'autres moments, il semble plus lointain, ou bien son activité décroît. Je ne sais dire. Il fait nuit, la lune n'est pas encore levée, des nuages poussés par le vent du sud viennent s'interposer entre l'orage et nous. J'arrive encore moins à évaluer sa distance. Je commence à être inquiet. Puis un regain des éclairs me donne l'impression que l'orage s'est encore approché brusquement. N'écoutant que mon courage... je décide... de fuir !





Nous virons de bord pour faire route au sud ouest. Cela nous fait quelque peu rebrousser chemin, mais je ne me sens pas de taille à affronter cette masse noire et électrique, dont je n'arrive à estimer ni la taille ni la direction. En quelques minutes, sur cette route sud ouest, j'ai la sensation que l'orage est moins proche. Mes tensions ne s'amenuisent pas pour autant. La présence d'un orage si près m'a glacé dès le départ, et la peur s'est insinuée en moi. C'est la première fois depuis notre départ que je me laisse prendre par cette mauvaise compagne. Malgré les gélules de passiflore et les fleurs de Bach prises immédiatement, je me sens physiquement pris en étau, ralenti. Mon esprit est confus, embrouillé, incapable de produire une pensée claire. Je dois lutter pour ne pas céder à une forme de panique et ne pas laisser cet état transparaître. Les images et récits du phénomène qui a ravagé le secteur de Girolata en Corse quelques semaines plus tôt s'imposent sur mon écran mental, insinuant une presqu'irrepressible en même temps qu'impossible pulsion de fuite.


L'orage s'est installé à l'intérieur. Je m'accroche aux étoiles, toujours visibles au-dessus de nous, et fais silence. J'essaye de rationaliser. En vain. Malgré le changement de cap, je ne suis pas certain d'avoir pris la bonne décision. Je sais que je sais comment se comportent les cellules orageuses en fonction du vent dominant, mais je ne suis plus en mesure d'avoir accès à cette donnée. Dans ma tête, tout n'est que doutes et contradictions. C'est une sensation insupportable. J'ai un temps l'idée de rebrousser chemin, de faire route vers l'ouest, puis le nord avant de revenir sur notre cap initial, afin de contourner l'orage. Mais Isis, soucieuse de ne pas rallonger notre déjà long périple, émet l'idée que l'orage suit sans doute une route parallèle à la nôtre et que nous pouvons continuer vers l'est sans trop de risques. Elle est étonnamment très calme malgré le mal de mer qui la tenaille encore. Nous refaisons donc route à l'est sur notre cap initial. L'orage, revenu sur notre bâbord, ne semble pas s'être approché, sans pour autant avoir l'air plus éloigné.


Nous restons sur le qui vive, dans l'obscurité de la nuit, essayant à chaque éclair de déterminer la position et la direction de la cellule.


Estimant que son intensité augmente ou qu'il se rapproche, au bout d'un certain temps, nous réitérons une manœuvre vers le sud sud ouest sur quelques miles, avant de reprendre à nouveau notre route initiale mais plus au sud. Nous ne visons plus Leucade mais Zakintos, croyant ainsi nous éloigner de sa route. Et puis l'orage disparaît comme par enchantement. Plus un éclair au nord ouest, la lune toujours absente, de grosses masses sombres nous survolent poussées par le vent de sud est, voilant par intermittence la voûte des étoiles.


Il se passe deux bonnes heures d'une demi détente relative, avant que les zébrures ne refassent leur apparition au nord ouest. Il doit être 1H du matin peut être. Je m'allonge sur le plat bord côté orage et essaye d'estimer la fréquence des éclairs. 9 secondes... jusqu'ici tout va bien... 7 secondes... bon ça va encore... éclairs ; je compte, - un -, éclairs ; merde ! Éclairs, j'inspire, éclairs... Nous entrons dans une nuit stroboscope.


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